Réflexions pour une transmission du conte

Conteur LenteghiDans le conte, la dimension de la transmission me semble primordiale, plus encore : l'instant de la transmission. C'est un instant que l'on peut rencontrer quelque soit la matière transmise, un instant qui donne l'impression de recevoir quelque chose de très rare et précieux, dont on doive prendre grand soin. Un instant qui nous rappelle que c'est de la vie toute entière dont il nous faut prendre soin, jusque dans les plus petites choses. Et puis, chacun peut alors recevoir ce qui n'est rien que pour lui, une histoire qui lui sera très personnelle, très intime. Le livre nous livre les mots, l'intention, la culture, mais la vibration du son ? L'énergie donnée quand on conte et quand on reçoit ? La magie de l'instant lorsqu'on offre à quelqu'un l'histoire qui résonne juste ?

De nombreuses personnes luttent, se révoltent, manifestent, se lancent en politique ou en résistance. Nous, nous racontons des histoires. Durant quelques instants, nous racontons la beauté d'une humanité qui se cherche, chemine, questionne ; parce qu'il est capital qu'à côté de ceux qui se soulèvent, qui dénoncent le pire, on puisse continuer à chanter le meilleur. Et les contes ont tant à nous enseigner ! Ils sont la mémoire du monde et en savent long sur nous même… Collecter la voix de ceux qu'on entend peu, dont on connaît les malheurs, sans en savoir les joies et les rêves. Dont on ne connaît parfois tout simplement rien ! On ne meurt pas simplement d'être tué mais aussi de ne plus être reconnu et intégré dans ses dimensions émotionnelles, culturelles, spirituelles.

Dans les conflits, petits ou grands, bien souvent la parole n'a plus de place, on ne peut plus écouter l'autre parce qu'entre nos mots se dressent nos maux, se dressent des murs. La parole court alors le risque de devenir menteuse, voleuse, tyrannique ; de devenir cris quand elle n'est plus entendue, insensée devant l'indicible. Le conte n'affronte pas de face, il prend toujours un autre chemin, un chemin détourné, masqué. Ce n'est pas une parole contre mais une parole avec : avec notre humanité, avec nos doutes, avec nos joies. Avec l'autre aussi, puisque dans le fond, notre difficulté d'être au monde vient de ce que nous sommes des êtres de liens et qu'il nous faut sans cesse nouer ces liens, par dessus et malgré nos gouffres.

Les contes nous offrent le champ d'une parole dicible et recevable, sans être une parole légère. Ils ne parlent que de l'être intérieur. La magie étant que chaque tradition, chaque porteur d'histoire va parler de cet être intérieur d'une manière très personnelle, unique. Voilà mon souhait, découvrir comment la parole des contes a fleuri dans les montagnes et aux bords
des mers du monde, et permettre que cette parole puisse fleurir encore.